En 1995, Bruce Springsteen publiait son 11° album et sortait un single éponyme pour l'accompagner : "the Ghost of Tom Joad". Cette chanson est dédiée aux laissés pour compte des Etats-Unis, aux recalés du système, aux homeless, aux travailleurs pauvres, aux pauvres tout court, dont le nombre est estimé à l'époque à plus de 36 millions, ce qui représente 14% de la population totale du pays d'alors. Ces personnes vivent en dessous de ce que l'on appelle le seuil de pauvreté. Aux Etats-Unis, il est défini par le gouvernement fédéral en conditions de vie, en fonction d'estimations de besoins de revenu. Par exemple, une personne seule est considérée comme vivant en dessous du seuil de pauvreté lorsqu'elle dispose de moins de 9800 dollars de revenus annuels.
Voici ce qu'il dit :
Men walkin' 'long the railroad tracksUn homme marche le long des rails de chemin de ferGoin' someplace there's no goin' backallant vers un endroit dont il ne pourra revenir
Highway patrol choppers comin' up over the bridgeune patrouille de police arrive au dessus du pont
Hot soup on a campfire under the bridgeUne soupe chaude autour du feu de camp sous le pont
Shelter line stretchin' round the cornerUne ligne d'abris précaires s'étend au coin de la rue
Welcome to the new world orderBienvenue dans le nouvel ordre mondial
Families sleepin' in their cars in the southwest Des familles dorment dans leurs voitures dans le Sud Ouest
No home no job no peace no restPas de maison, pas de travail, pas de paix, pas de répit.
The highway is alive tonightLa route est animée ce soir
But nobody's kiddin' nobody about where it goes Mais personne ne plaisante sur l'endroit où elle mène
I'm sittin' down here in the campfire lightJe suis assis là , à la lumière du feu de camp
Searchin' for the ghost of Tom JoadCherchant le fantôme de Tom Joad
He pulls prayer book out of his sleeping bagIl sort un livre de prière de son sac de couchage
Preacher lights up a butt and takes a dragLe prêcheur allume une clope et tire une bouffée
Waitin' for when the last shall be first and the first shall be lastEn attendant que le dernier soit le premier et le premier soit le dernier
In a cardboard box 'neath the underpassDans un carton du passage souterrain
Got a one-way ticket to the promised landTu as un aller simple pour la terre promise
You got a hole in your belly and gun in your hand Tu as un trou au ventre et un flingue dans la main
Sleeping on a pillow of solid rockDormant sur un oreiller de pierre
Bathin' in the city aqueductBaignant dans le conduit d'eau de la ville
The highway is alive tonight La route est animée ce soir
But where it's headed everybody knowsChacun sait où elle commence
I'm sittin' down here in the campfire lightJe suis assis là , à la lumière du feu de camp
Waitin' on the ghost of Tom JoadAttendant le fantôme de Tom Joad
Now Tom said "Mom, wherever there's a cop beatin' a guyMaintenant Tom dit "Maman, partout où il y a un flic qui tabasse un type
Wherever a hungry newborn baby criesPartout où un nouveu né affamé pleure
Where there's a fight 'gainst the blood and hatred in the airOù il y a une bagarre contre le sang et la haine dans l'air
Look for me Mom I'll be thereAppelle moi, Maman, je serai lÃ
Wherever there's somebody fightin' for a place to standPartout où quelqu'un se bat pour un endroit où vivre
Or decent job or a helpin' handOu un travail décent, ou un coup de main
Wherever somebody's strugglin' to be freePartout où l'on se bat pour la liberté
Look in their eyes Mom you'll see me."Regarde dans leurs yeux, Maman, et tu me verras"
The highway is alive tonightLa route est animée ce soir
But nobody's kiddin' nobody about where it goesMais personne ne plaisante sur l'endroit où elle mèneI'm sittin' downhere in the campfire lightJe suis assis là , à la lumière du feu de campWith the ghost of old Tom JoadAttendant le fantôme de Tom Joad
Voici comment il le chante et l'évoque par une mise en image puissante du texte. Parmi les plans qui renvoient à la grande pauvreté et à l'anéantissement durêve américain une bannière étoilée délavée, des chaussures en bout de courses, des caravanes, des maisons vendues après la ruine de leurs propriétaires endettés, des barbelés qui empêchent de passer la frontière, des noirs, des prostituées, des personnes désÅuvrées assises sur les trottoirs, des usines fantômes. Mais aussi les images du rêve : les grands espaces mythiques de l'ouest, la Californie et sa route 66, ses énormes trucks, ses promesses divines qui sont loin d'être réalisées pour tous.
Et puis, dans cette grande fresque du mirage américain revient un personnage dont le nom est scandé à chaque fin de refrain. C'est le fantôme qui hante le texte de Springsteen : Tom Joad.
Héros du roman de John Steinbeck "The grapes of wrath" ("les raisons de la colère") publié en 1939, et du film qu'en tira John Ford dans une adaptation cinématographique l'année suivante, Tom Joad est une figure classique de l'homme qui , bien qu'épris de justice, est broyé par le système économique et contraint à la marginalité. En 1929, le krach boursier plonge les Etats-Unis dans une crise économique profonde qui atteindra son paroxysme en 1932 : la Grande dépressionsert de toile de fond à l'histoire de cette famille de fermiers de l'Oklahoma. Ruinés et endettés, ils sont chassés de leurs terres devenues infertiles en raison des dust bowls (les tempêtes de sable). Ils décident de tout quitter pour aller vers l'ouest, en Californie, où les attend une vie meilleure, ils partagent cette certitude avec des milliers d'autres de leurs concitoyens réduits à la misère. Tom Joad a déjà fait de la prison, un pasteur accompagne la famille dans son voyage sur la route 66 parsemée de campements de fortune, peuplés des victimes de la crise. Arrivés en Californie, ils déchantent. Trop de pauvres agriculteurs jetés sur les routes cherchent à se faire employer sur les fermes. Les salaires sont misérables, les Joad intègrent une Hooverville (ville-campement rebaptisée du nom du président Hoover qui nia l'existence de la crise). Utilisés comme briseurs de grève, la famille finit d'imploser sous le poids du malheur : Tom Joad venge le meurtre de son ami le pasteur et est contraint à la fuite promettant à sa mère de continuer à se battre contre l'injustice.
Une fois posé ce parallèle : le fantôme ne hante plus le texte du Springsteen, il l'éclaire. Tom Joad existe encore en 1995, car la crise n'a pas disparu, l'injustice encore moins. Le nouvel ordre mondial n'est pas si nouveau, les victimes du système capitaliste dans ce qu'il a de plus débridé sont encore jetées sur les routes.
"The Gost of Tom Joad" est donc une sépulcrale mise en abîme du chef d'oeuvre de John Steinbeck dans une chanson de la fin du XX°siècle. Parfois, il faut croire que l'histoire se repète et que la fiction la rattrape.
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